Rentrée littéraire : Balkany, Macron, Mélenchon

« Vulnérable », « bourgeois » et « barbares », ont été les mots de la rentrée littéraire de septembre, respectivement le vendredi 13, le lundi 16 et le mercredi 25.

Le 13 septembre, les chaînes d’intox ont déclamé en chœur que, suite à sa condamnation en première instance, Patrick Balkany serait « incarcéré dans un quartier pour personnes vulnérables ».Même des journaux plus sérieux, quoique digitaux, ont repris l’« info ».[i]

Le 16 septembre, Emmanuel Macron, devant des sympathisants supposés, a déclaré : « Les bourgeois ne croisent pas l’immigration ».[ii] Il n’y peut rien. Il parle cash. Il est comme ça. C’est son caractère.

Le 25 septembre, Jean Luc Mélenchon lui aussi, a donné un conseil de prudence à des sympathisants supposés qui risquaient de rencontrer des policiers  : « Ce sont des barbares. Soyez prudents, parce qu’ils ne s’arrêtent plus maintenant ».[iii]

L’emploi des mots

Spontanément, on se dit que la formule « personnes vulnérables » remplace désormais V.I.P. Cet anglicisme est apparu à la fin des années cinquante[iv], pour désigner une « personne très importante (en anglais very important person). L’inconscient (ou une savante étude de marketing) semble avoir décidé de le franciser, de conserver le substantif qui existe dans les deux langues et de choisir un qualificatif commençant par la lettre V.

Supputation, mauvais esprit ou premiers pas vers le complotisme ?

Le Parisien confirme pourtant cette hypothèse dans son édition du 15/09/19 consacré à l’incarcération de Balkany.[v] Nul doute qu’un journaliste « connu pour être connu » pourrait prétendre à ce régime de protection.

Mais si le « politiquement correct » a saisi l’administration pénitentiaire, il semble lui avoir fait oublier que la « protection des personnes vulnérables » est d’abord une notion juridique. « La personne vulnérable est définie comme « un mineur de 15 ans ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse » (art. 434-3 du CP). [vi]

Les mots « barbares » et « bourgeois », eux, ont une histoire plus ancienne et une multitude de sens (historiques, polémiques, voire juridiques) sont attachés à l’un et à l’autre. Aussi, il sera moins question ici de leur emploi que de leurs employeurs.

Les mots et leurs employeurs.

Dans la séquence « personnes vulnérables », « les médias » du « courant dominant »[vii], ont employé sans commentaire une innovation sémantique de l’administration. Dans les séquences suivantes, « bourgeois », puis « barbares », ils se sont vautrées sans retenue dans le commentaire, admiratif, élogieux, désapprobateur ou carrément calomnieux.

Ce qui était en question, ce n’était pas l’emploi de ces mots, sinon on aurait pu leur trouver des significations voisines. Flaubert disait à Maupassant : « J’appelle bourgeois quiconque pense bassement ». Ce n’est pas si loin de la définition que Le Larousse donne du « barbare » : « Grossier, contraire au bon goût, aux usages ».[viii]

Ce sont les employeurs de ces mots qui étaient le sujet de tous ces commentaires. Macron et Mélenchon ont quelques points communs : ils ont été candidats à la dernière élection présidentielle et ils ont quelque chose à voir avec le « dégagisme » (l’un l’a théorisé, l’autre l’a pratiqué)

Mais les ressemblances s’arrêtent là. Les éditocrates s’extasient et ne cachent pas leur admiration lorsque Macron « parle cash ». Lorsque c’est Mélenchon, ils se drapent dans une indignation vertueuse.

Le 16 septembre, Macron faisait des confidences à ses parlementaires. Elles étaient faites expressément pour fuiter dans la presse. C’est pourquoi son discours a fait l’objet de commentaires impromptus sur les chaînes d’intox d’abord, puis de ce que certains appellent des « analyses » dans les journaux papier.

Le Point a titré : Emmanuel Macron veut regarder le sujet de l’immigration « en face » [ix]

Le Dauphiné Libéré : « Les bourgeois ne croisent pas l’immigration ».[x]

Le Monde : Devant sa majorité, Macron assure vouloir « regarder en face » le sujet de l’immigration.[xi]

Les plus audacieux des éditocrates ont remarqué qu’il allait sur le terrain de La Pen. Mais aucun n’a souligné que, sur la forme, il est un récidiviste, dans l’emploi des « confidences publiques »(« pognon de dingue », « venez me chercher », etc…), et dans l’emploi péjoratif du mot « bourgeois » (son entretien accordé à la Nouvelle Revue Française en 2018.[xii]

Le 25 septembre, Mélenchon mettait en garde un groupe de manifestants. Un seul mot a été retenu et tous les commissaires politiques du « courant dominant » ont jugé sans appel qu’il avait insulté, injurié tous les policiers.[xiii] Pourtant Mélenchon est tout sauf un gauchiste. Il n’est pas du genre à crier dans la rue : « Tout le monde déteste la police ». Il visait donc les « éborgneurs » de la Police Nationale. Mais peut-être une cellule d’investigation et de dégrisement dévoilera-t-elle prochainement que tous ces « éborgneurs » sont des « radicalisés » infiltrés dans une police si peu regardante ?

Conclusion toujours provisoire

« Vous n’avez qu’un opposant sur le terrain : c’est le Front national. Il faut confirmer cette opposition, car ce sont les Français qui l’ont choisie »

Cette autre confidence du Macron lors du « pot de rentrée » de ses parlementaires n’a pas eu la même publicité que celle sur les « bourgeois ». Pourtant, c’est sa façon à lui de désigner qui sont les ennemis, les « barbares ».

Mais « les médias » du « courant dominant » ne semblent pas choqués par une telle déclaration, tant elle leur paraît une évidence ou une révélation. La plupart d’entre eux (à l’exception de BFM et CNews qui veulent laisser sa chance à La Pen) pourrait souscrire à cette remarque de Sacha Houlié reprise par Le Canard Enchaîné :

« La nouveauté, c’est qu’avec la disparition des oppositions le Président et le premier ministre apparaissent comme les uniques représentants politiques du pays. »

Ceci c’était avant la déconvenue « Sylvie Goulard ».

Les emmerdements volant en escadrille, elle venait après le massacre de la Préfecture de Police, mais avant l’intervention de la Turquie contre les Kurdes.

Prochainement nous reviendrons sur l’emploi des mots « radical », « radicalisés » et « vigilance ». Et sur les employeurs de ces mots.


[i]https://www.huffingtonpost.fr/entry/patrick-balkany-incarcere-a-la-prison-de-la-sante-mais-pour-combien-de-temps_fr_5d7b933de4b077dcbd5ca9c4

[ii] https://www.ledauphine.com/france-monde/2019/09/16/emmanuel-macron-les-bourgeois-ne-croisent-pas-l-immigration

[iii] https://www.lci.fr/politique/video-melenchon-qualifie-les-policiers-de-barbares-des-propos-juges-indignes-par-les-forces-de-l-ordre-2133118.html

[iv] https://www.cnrtl.fr/etymologie/v.i.p.

[v] « Il y a quelques années, c’était le « quartier des VIP », mais l’expression était sans doute moins politiquement correcte. Les « vulnérables » en détention, ce sont surtout des policiers, gendarmes ou militaires, mais aussi des personnes médiatiques dont la sécurité pourrait être remise en cause au sein d’un régime classique de détention. » http://www.leparisien.fr/faits-divers/patrick-balkany-en-prison-seul-dans-une-cellule-de-9m-a-l-etage-des-vulnerables-15-09-2019-8152305.php

[vi] http://www.gazette-sante-social.fr/12312/la-protection-des-personnes-vulnerables

On apprend aussi dans cet article que « La non-assistance à personne en péril – que les juristes classent dans les omissions coupables – a été inventée par le gouvernement de Vichy, le 25 octobre 1941, pour réprimer ceux qui ne portaient pas spontanément secours aux troupes d’occupation lorsqu’elles étaient attaquées par la Résistance… »

[vii] En anglais : media mainstram

[viii] https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/barbare/7926

[ix] https://www.lepoint.fr/societe/emmanuel-macron-veut-regarder-le-sujet-de-l-immigration-en-face-16-09-2019-2336069_23.php

[x] https://www.ledauphine.com/france-monde/2019/09/16/emmanuel-macron-les-bourgeois-ne-croisent-pas-l-immigration

[xi] https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/09/17/devant-sa-majorite-macron-assure-vouloir-regarder-en-face-le-sujet-de-l-immigration_5511202_823448.html

[xii] https://www.lopinion.fr/edition/politique/emmanuel-macron-l-europe-vieux-continent-petits-bourgeois-148979

https://www.lexpress.fr/actualite/politique/macron-et-les-petits-bourgeois-de-la-pensee_2004840.html

https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/05/10/le-petit-bourgeois-figure-honnie-de-la-macronie_5297081_3232.html

[xiii] Ils n’ont pas osé reprendre mot pour mot (on se de mande bien pourquoi) une déclaration des Policiers en Colère :  « Monsieur Mélenchon est l’un des politiciens français possédant le plus gros patrimoine ; comme quoi, l’argent ne rend pas intelligent..

Les policiers, qu’il traite de barbares, protègent quotidiennement la grande bourgeoisie à laquelle il appartient et qu’il prétend pourtant combattre. »

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